Ils servent à meubler notre discours, à nous détacher de notre propos, à conclure sans faire le moindre effort, à interpeller notre interlocuteur (qui n’a rien demandé). Ces mots parasites trahissent notre maladresse et notre manque de maîtrise. Mais pour parvenir à s’en débarrasser, encore faut-il savoir les identifier. D’abord chez autrui, puis dans notre propre langage. Florilège.

 ___ J’avoue ___

« – Franchement, Justin Bieber, il est trop beau ! – J’avoue. »

Que vient faire l’aveu d’une culpabilité dans un échange aussi futile ? Un « oui, c’est vrai » ne ferait-il pas aussi bien l’affaire ?

Relevant du langage parlé et populaire, ce « J’avoue » est à comprendre au sens de « Ça m’embête de te le dire, mais oui » ou « Je dois bien reconnaître que tu as raison ».

Dans ce cas, on « avoue » pour confirmer une affirmation (positive ou négative) donnée avec force par autrui et sur laquelle on n’a pas envie de polémiquer.

« – Sérieux comment c’est galère de venir chez toi ! – J’avoue. » ou « – Sérieux comment elle est relou ta mère ! – J’avoue ».

Cependant, tous les aveux ne se valent pas : « Chéri, tu m’as trompée ! – J’avoue. »

___ Voilà ___

Pas facile de conclure, n’est-ce pas ? Pas facile de trouver une chute à nos propos, surtout quand ils sont improvisés…

Heureusement, les conclusiophobes ont trouvé leur meilleure amie, leur alliée, leur sauveuse… c’est la préposition « voilà »[1].

D’ordinaire, elle s’emploie en début de phrase, pour introduire une conséquence :

« Voilà pourquoi bla bla bla »

Pour annoncer un dénouement proche ou aborder (enfin) le point essentiel :

« Nous y voilà ! ».

En fin de phrase, pour clore une démonstration ou une énumération :

« Et voilà ! ».

 Jusque là, tout va bien. Pourtant, trop souvent, « voilà » est utilisée à l’oral comme un signe de ponctuation, sans réelle signification :

« J’ai fait mes études à Oxford, j’ai travaillé trois ans dans une banque d’investissement, j’ai deux canaris et un cochon d’Inde. Voilà [2] ».

Voilà quoi ?

Par définition, quelqu’un qui emploie « voilà » pour conclure ne veut pas se mouiller. Il dit en substance à son interlocuteur : « je te balance tout ça, tu en fais ce que tu veux, débrouille-toi ! ». Il lui laisse le rôle d’interpréter ses propos, ce qui n’est pas sans risque.

 Et si vous faisiez le travail jusqu’au bout ? Nul besoin d’éliminer complètement « voilà », il suffit de l’utiliser de la bonne manière :

« J’ai fait mes études à Oxford, j’ai travaillé trois ans dans une banque d’investissement, j’ai deux canaris et un cochon d’Inde. Voilà pourquoi je pense avoir toutes les qualités pour rejoindre votre groupe… ».

 ___ Un petit peu ___

 « À présent, je vais laisser la parole à ma collègue qui va un petit peu nous parler de son bilan »

On dit souvent cela pour rassurer un auditoire. « Un petit peu » signifie « ne vous inquiétez pas, ça ne sera pas long ». Mais en même temps (et sans forcément le vouloir), on minimise l’importance des propos qui vont être tenus… avant même notre “collègue” ait eu le temps d’ouvrir la bouche.

« Un petit peu » relève parfois de la litote, ce procédé de style qui consiste à dire moins pour faire entendre plus.

« J’ai un petit peu raté mon permis »,

« Il s’est un petit peu pris la honte ».

« Un petit peu » peut aussi être traduit par « en quelque sorte » et traduit encore une fois l’approximation.

« En fait, quand tu tombes amoureux c’est un petit peu comme si tu avais des papillons dans le ventre [3] ».

Juste un petit peu ? Difficile à dire, personne n’a jamais eu de papillons dans le ventre pour de vrai…

Mais quand le Premier ministre dit : « on va un petit peu augmenter les impôts » que faut-il comprendre ? »

Qu’on est un petit peu (beaucoup) dans la m…

___ Si vous voulez ___

« Moi, si vous voulez, je pense que la situation nécessite, si vous voulez, d’employer les grands moyens ».

 « Si vous voulez » est une expression parasite très utilisée pour meubler un discours. Elle peut servir à gagner du temps afin de réfléchir aux propos suivants. Elle trahit (en général) un propos approximatif, creux, facile et gratuit… On l’entend souvent chez certains auditeurs remontés qui interviennent à la radio.

Observons l’expression de plus près. « Si vous voulez » convoque l’interlocuteur, elle l’associe à ce qui est en train d’être dit et dans le même temps désengage le locuteur.

« Si vous voulez » s’approche de « comme vous voulez » ou « comme vous préférez » et suppose qu’on laisse l’autre décider à notre place de ce qu’il faut comprendre…

«  – Voulez-vous encore du vin ? 

–      Si vous voulez.

–      Oui ou non ? »

… Ou qu’on lui dit simplement ce qu’il veut entendre. Pas étonnant que les politiques l’utilisent si fréquemment lorsqu’ils sont interrogé sur un sujet gênant.

Et face à ce genre de posture, tout bon journaliste devrait interrompre le politique et lui dire :

« Ah mais moi je ne veux rien, je vous pose juste la question ».

___ Tu vois ___

 Les personnes qui ponctuent leurs propos par « tu vois » nous apprennent au moins deux choses sur elles :

 1-  elles sont « visuelles » : pour elles, tu vois = tu comprends.

2-  elles ont besoin de valider leur propos auprès d’un tiers, ce qui peut parfois se révéler utile.

Quand le propos est simplissime, ce « tu vois » est agaçant, mais si l’on vous dit « le carré de la longueur de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés, tu vois ? », cela vous permet d’attraper la perche qui vous est tendue et de répondre : « Heu… non, je ne vois pas ! ».

À noter que dans le langage populaire ou provençal, “tu vois”, se rencontre sous la forme “t’as vu” ou “t’ias vu”.

___ C’est clair ___

Autre expression sortie tout droit du vocabulaire des visuels, « c’est clair » permet d’approuver et de renforcer les propos d’autrui et équivaut à « évidemment », « assurément ».

 Contrairement à « J’avoue », qui a plutôt tendance à couper court à la conversation, « c’est clair »  se prête plus volontiers à la surenchère.

 Notons quelques associations malheureuses :

 « –  On n’y voit rien ici !

– C’est clair. »

____ Entre guillemets ____

À l’oral, on dit « entre parenthèses » pour introduire une remarque accessoire et « entre guillemets » pour atténuer le sens d’un mot. ET  NON l’INVERSE !

« Tu savais toi, que Jonathan, entre parenthèses qu’est-ce qu’il est beau, était, entre guillemets en couple avec Tatiana ».

___ J’dis ça, j’dis rien ___

Procédé qui relève de la litote que nous avons évoquée précédemment. Le locuteur feint de prononcer un propos anodin quand celui-ci relève du bon sens et même de la nécessité.

« – Peut-être qu’il faudrait que tu enlèves l’herbe de Provence coincée entre tes dents avant de rentrer en réunion. Enfin, j’dis ça, j’dis rien !

– Quoiiiii ? Mais pourquoi tu ne me l’as pas dit avant ?”

Mais quand le « J’dis ça, j’dis rien » est gratuit voire moqueur, on se fera un plaisir de répondre : « c’est ça, ne dis rien !”

[1] “Voilà” est composé de l’impératif de voir et de l’adverbe . « Vois là » a donné « voilà ». C’est aussi simple que ça.

[2] Variantes : « voili voilà », « voili voilou » ou « voilou » tout court. Mais là, c’est sûr que vous ne serez pas embauché(e).

[3] Merci à Magalie, candidate victorieuse de l’émission The Bachelor sur NT1 pour m’avoir inspiré cette réflexion hautement poétique…