Vendredi dernier, je suis allée voir Bernard Pivot qui officiait pendant quatre petits jours seulement au Théâtre du Rond-Point. Un événement que je n’aurais raté pour rien au monde !

Pendant plus d’une heure, débout devant son pupitre ou assis dans l’authentique fauteuil d’Apostrophes, il nous a conté les meilleurs mots-ments de sa vie.

À l’évocation du premier mot,  jeunesse, le voici tantôt crâneur au volant d’un triporteur de fruits et légumes (ses parents étaient épiciers), tantôt stratège à bord d’un train fantôme, profitant, avec la complicité d’un « gratteur de tête », du contact physique de jeunes filles apeurées. Ces souvenirs de fête foraine ont inspiré son premier (et longtemps unique) roman L’amour en vogue (1959).

Arrive le temps des vendanges, véritable éveil à la sensualité à la vue de ces « Fragonardes » (mot inventé par Colette en 1932 pour désigner des femmes pulpeuses, telles que Fragonard les peignait) qui se penchaient pour cueillir les raisins. C’est d’ailleurs grâce au vin qu’à 23 ans, Bernard Pivot se tire d’affaire d’un entretien d’embauche – qui semble mal engagé – au Figaro Littéraire. Maurice Noël, alors directeur du journal et grand amateur de Beaujolais, alléché par la proposition du jeune Pivot de lui faire goûter la cuvée parentale, le prend trois mois à l’essai.

Puis vient la consécration avec Apostrophes. Bernard Pivot nous révèle quelques petits secrets de l’émission qui s’est arrêtée en 1990, alors que je n’avais que 6 ans. Il s’amuse de Vladimir Nabokov qui, le 30 mai 1975, avait tenu à répondre par avance et par écrit aux questions : il avait fallu poser devant lui une pile de livres afin de cacher ses notes. Sans compter que la théière de l’écrivain était en réalité remplie… de whisky !

Bernard Pivot se souvient également à quel point son corps lui a joué des tours du temps d’Apostrophes. En effet, à chaque fois qu’il était malade (que ce soit un gros rhume ou une crise de colique), les symptômes cessaient systématiquement en début d’émission pour recommencer dès le générique de fin. Ce qui ne manqua pas d’intriguer Marguerite Duras.

 Enfin, après avoir lu une dictée truffée d’homophones en « r » et s’être étonné que nous n’ayons sorti ni feuille ni stylo, Pivot nous dit « merci », qui, comme « amour », fait partie des mots de 5 lettres exprimant un sentiment.

Un sentiment plus que partagé !

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Quelques bons mots de Bernard Pivot (tirés du spectacle) :

 – La libellule ayant quatre « l » pour voler, comment se fait-il que l’hippopotame n’ait que trois « p »(attes) ?

– L’expression « tailler une bavette » ne vient pas de la boucherie mais du prétoire. Elle fait référence aux surplis blanc que les avocats portent sur leur robe noire, d’où leur surnom de « baveux ».

– Jeune homme, Bernard Pivot ne savait pas trop comment s’y prendre avec les filles. Alors, il les emmenait au musée de l’Hôtel-Dieu à Lyon, à l’abri des regards. Malheureusement, ce que l’on pouvait y admirer « se prêtait plus aux infusions qu’aux effusions » !

– Quand Bernard Pivot demanda à Jean d’Ormesson pourquoi le dictionnaire de l’Académie ne précisait pas l’acception sexuelle des « bagatelles de la porte » (les préliminaires), ce dernier lui répondit : « À l’Académie française, il n’y a plus marqué sexe, mais prostate ! ».

– « Les guillemets sont toujours au pluriel car ils vont par deux. En animant l’émission « ouvrez les guillemets », je vivais déjà aux crochets de la littérature ! ».

 – Mots croisés de Robert Scipion dans Le Nouvel Observateur : « pour honorer les lettres ou pour les supprimer ». Réponse : «  Apostrophes » !

– « Ego » est un nom masculin qui est forcément invariable et qui n’a forcément pas d’accent sur le « e » car il est dans la nature de l’ego de mettre l’accent sur lui !

– Pourquoi mettre un trait d’union à « ex-femme » et à « ex-mari » puisqu’ils sont séparés ?

– E+a+u = o : ça ne coule pas de source pour les étrangers ! D’accord, il y a « bateau », mais il y a aussi « cargo » ! Décidément, le français va à vau-l’eau !

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pivois = ancien mot d’argot pour « vin », pavois = ancien synonyme de « bouclier » sur lequel les seigneurs élevaient les rois qu’ils venaient d’élire pour les montrer au peuple. D’où, au figuré, « élever sur le pavois » (mettre en grand honneur ou grande renommée). A donné « pavoiser ». Sources : Dictionnaire historique de la langue française et Nouveau Littré.