Raymond Devos, dans un excellent sketch, prenait son public à témoin : « Avez-vous remarqué qu’à table les mets que l’on vous sert vous mettent les mots à la bouche ? »Et l’humoriste de se moquer, tout en maniant les subtilités de la langue française avec le talent qu’on lui connaît, de ces individus qui, littéralement, « alimentent la conversation », c’est-à-dire parlent la bouche pleine !

Pourtant, mettre des mots sur des mets (sans mastiquer en même temps !) est non seulement agréable pour nos sens et pour notre estomac, mais peut éviter bien des déconvenues. Car à l’oreille, l’appellation de certains aliments, qu’ils soient exotiques, rares ou raffinés, se révèle très équivoque…

Il y a d’abord les plats dont le nom semble « à l’envers », comme le curry d’agneau. Pourquoi ne dit-on pas tout simplement de l’agneau au curry ? Pourquoi diable l’épice est-elle placée avant la viande?

Un rapide détour par l’étymologie s’impose. A l’origine, le mot anglais curry, introduit en Inde par les colons britanniques, désigne un condiment indien fait de piment, safran, poivre et autres épices pulvérisées.  Il découle du tamoul kari, « sauce, condiment pour assaisonner le riz ».

Par métonymie, il a fini par désigner le mets composé de viande (ou poissons, légumes) préparé avec ce condiment, qu’il soit ou non accompagné de riz.

Si vous allez à la Réunion ou à Maurice et que vous commandez un curry, on vous servira une viande mijotée avec des épices (selon les recettes : curry, oignon, ail, coriandre, gingembre…) et des fruits (pommes, bananes, mangues, coco, raisins secs…). La cuisine créole offre une multitude de façons d’accommoder le curry : au lard fumé (cari boucané), au poulpe (cari zourite), au bœuf (cari boef)… Ici la viande joue l’accompagnement. Ce qui compte, c’est le mariage des saveurs et des épices, grâce au mode de cuisson. Rien à voir donc, avec les plats « au curry » que vous dégustez dans un restaurant chinois.

Ainsi, le mot curry désigne des préparations bien différentes selon qu’il s’agit de cuisine indienne, créole ou extrême-orientale. Tout dépend de la place accordée à l’épice dans le scénario culinaire : « star » avec une viande comme faire-valoir (curry d’agneau) ou second rôle en assaisonnement (agneau au curry). Paradoxalement, vous sentirez davantage le goût du curry dans le second plat que dans le premier !

Est-ce la même chose pour le ris de veau ? Non, car, vous l’aurez noté, l’orthographe le distingue de son homonyme céréalier. Le ris, du latin risus, désigne l’abat du veau (ou de l’agneau, du chevreau) formé par une glande – le thymus – située à l’entrée de la poitrine, devant la trachée, et qui disparaît à l’âge adulte. Le ris se compose d’une partie allongée, la gorge, et d’une partie ronde et savoureuse, la noix.

Bien, et si je commande une souris d’agneau, j’aurai un ou deux mammifères dans mon assiette ? En latin, Mus musculus, qui signifie « petite souris », a donné le mot français « muscle », par analogie avec le muscle sous la peau qui ressemble à une souris sous un drap. Dans ce plat, la souris est le muscle arrondi attenant à l’os du manche d’un gigot, et il se trouve qu’il a tout à fait la forme … d’une souris ! À noter que le jarret de bœuf est en réalité une souris de bœuf qui en a eu assez de servir de prête-nom. Non, mais !

Quant au haricot de mouton (ah ! comme j’aimerais qu’un enfant fasse les illustrations de cet article), eh bien je vous le donne en mille : il ne contient pas de haricots !

Je parle bien sûr de l’authentique ragoût de viande de mouton coupée en morceaux avec des pommes de terre et des navets. L’appellation trompeuse vient du vieux français harigoter ou haligoter qui signifie « déchirer, mettre en lambeaux ». Pour preuve, on trouve aussi la recette du halicot de mouton dans les livres de cuisine.

La confusion vient du fait que, par la suite, la fève de haricot s’est invitée dans la préparation du plat.

Mais vous reprendrez bien un peu de fromage de tête ? Si ! Cette charcuterie traditionnelle constituée de petits morceaux de viande de porc, plus particulièrement issue de la tête (joues, groin, langue …), généralement cuite avec des morceaux de carottes, de cornichons, d’échalote ou d’oignon, et moulée en gelée, sans oublier persil, ail et épices fines au choix (poivre, thym, genièvre, clou de girofle…). Historiquement, une tête entière de porc saumurée était cuite toute une nuit, puis désossée mais sans utiliser les oreilles, les yeux et toutes les parties cartilagineuses. Allez, ne faites pas cette tête !

On ne va pas vous la couper, comme l’alouette… l’alouette-sans-tête. Qui – ça vous étonne ? – n’est pas une alouette ! Un imposteur de plus dans nos assiettes ! Les alouettes sans tête sont en fait des paupiettes, c’est-à-dire de fines tranches de viande (le plus souvent de veau) garnies d’une farce et bardée de lard. Leur forme évoquerait un oiseau auquel on aurait retiré la tête. Appétissant !

Et au vieux marin marseillais qui vantait à la télévision les mérites de la choucroute Stoeffler et concluait par un « je ne sais pas le dire mais je la mange bien », je réponds qu’un gastronome éclairé en vaut bien deux ! Pas vrai ?

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