À l’occasion de la sortie de Polisse, le nouveau (et très attendu) film de Maïwen, je ne peux m’empêcher de repenser à ces affiches de publicité ou de cinéma, lesquelles, affublées de leur slogan ou de leur titre « à faute » ont picoté nos pupilles toute l’année durant.
Tout a commencé pendant les fêtes de Noël avec cette affiche Monoprix où s’étalait, en lettres XXL, le message « réveillon nous ».
D’un point de vue publicitaire, le jeu de mots, basé sur l’homonymie entre deux mots de la même famille – le verbe pronominal se réveiller, conjugué à la première personne du pluriel de l’impératif présent et le nom commun réveillon – est bien pensé. D’un point de vue orthographique, c’est une autre histoire. Passons sur la découpe incorrecte des syllabes et sur l’économie de trait d’union entre le verbe et son pronom réfléchi, et concentrons-nous sur ce « s » qui manque à l’appel.
On avait bien à notre disposition le verbe réveillonner, dérivé du nom réveillon, et qui donne, au même mode, au même temps et à la même personne : réveillonnons. Mais le rapprochement avec se réveiller, qui semble tant tenir à cœur aux créatifs, disparaît, et l’intérêt du message avec.
Alors on aurait pu imaginer le compromis suivant : « réveillons-nous ». L’homonymie est toujours présente et la conjugaison respectée. Certes, le nom réveillon, devenu pluriel, apparaît de manière plus subliminale à la lecture, mais l’association d’idées reste largement favorisée par le contexte des fêtes de fin d’année.
Bon, puisqu’on ne peut pas rejouer le match, et que les alternatives sont moins heureuses niveau « créa », imaginons qu’un élève de CE2, qui est justement en train d’apprendre les conjugaisons, tombe sur l’affiche. « M’man ya une faute là ! », « Où ça chéri ? », « Ben là !». « Ah ! heu, oui, tu as raison mon cœur, mais heu… c’est une publicité ». Et les « zéro pointé en dictée » de se découvrir une vocation prématurée pour les métiers de la pub…Ceci expliquerait cela…
Au cinéma, même combat. La nouvelle année à peine entamée, je vois placardée sur toutes les colonnes Morris de Paris l’affiche du Fils à Jo, « comédie dramatique » gentillette autour du rugby. C’est osé de troquer la préposition « de » (qui marque le lien d’appartenance entre une chose et une personne, ou entre deux personnes) contre la préposition « à ». C’est osé parce que c’est une faute qu’on entend trop souvent et qui est particulièrement vulgaire. Comme cette jeune fille qui racontait à sa copine (et à qui voulait l’entendre) « Hier je suis allée au docteur, c’est la mère à Jennifer qui m’a amenée et… ». Par pitié, je ne veux pas en savoir plus !
Alors oui, comme toujours, il y a des exceptions : on utilise la préposition « à » dans des expressions toutes faites comme « le fils à papa » ou la « barbe à papa » mais elles ont, d’une certaine manière, acheté leur droit à l’erreur ! Maintenant amusons-nous à corriger la faute : Le fils de Jo. Pas terrible, pourquoi ? D’abord phonétiquement : le Fils à Jo glisse tout seul, parce qu’on fait la liaison le Fissa Jo, mais dans le Fils de Jo, on a deux sonorités dentales côte à côte – le Fils de Djo – qui durcissent la prononciation (à moins de dire Jo à la française, comme dans le film éponyme avec de Funès !). Mais il y a une autre raison. Ici, la faute (cela m’ennuie de le dire) a une utilité. Celle de révéler en un coup d’œil tout l’esprit du film, avec ses valeurs humaines, populaires, simpl(ist)es. Et on l’entend déjà, le vieux rugbyman sur le retour interpeller le gamin de sa grosse voix « Hé les gars, mais c’est le fissa à Jo » ! Dont acte.
Et le cauchemar s’est poursuivi quand, fin juin, Omar m’a tuer est sorti sur nos écrans. Je veux bien que la faute d’accord ait été déterminante dans l’enquête et qu’elle ait contribué à rendre l’affaire célèbre, mais je me serais tout de même passée de la voir s’exhiber partout en quatre par trois. En vérité, ce qui m’agace le plus, c’est la récupération massive dont l’expression, flanquée de cette horrible faute, fait l’objet. Tout le monde s’y est mis, journalistes et publicitaires (encore eux !) en tête de cortège. On rencontre au moins deux cas de figure. Soit les termes de la phrase diffèrent de l’original, mais, allez savoir pourquoi, la faute a été conservée ! Dans le meilleur des mondes, la phrase se rapporte directement à l’affaire ou au film. Ainsi, un article du magazine Elle titrait Roschdy[1] l’a changer, en parlant de l’acteur Sami Bouajila qui interprète Omar Raddad. Soit c’est le sujet de la phrase qui change pour se décliner à l’infini. Des affiches Mc Do m’a tuer pour Burger King aux ouvrages Facebook m’a tuer, L’open space m’a tuer[2] ou encore Sarko m’a tuer[3], sorti fin août en librairie !
Ceux qui ont été informés de l’affaire comprennent le sens de ces clins d’œil douteux mais si personne n’est là pour expliquer aux jeunes (ou aux bienheureux qui ont passé les vingt dernières années enfermés dans une capsule cosmique) la genèse de l’expression, que retiendront-ils à part la faute ?
Revenons maintenant au film qui fait l’actualité, je veux bien sûr parler de Polisse, Prix du Jury du dernier festival de Cannes. Ici encore l’on est en droit de s’interroger : pourquoi «Polisse» et non «Police» ?
Voici l’explication donnée par la réalisatrice [4] : « Le titre qui s’est d’abord imposé à moi était Police, mais il avait déjà été pris, et pas par n’importe qui![5] J’ai ensuite eu envie d’intituler le film T’es de la police? – et je me suis rendu compte qu’il avait également été utilisé il y a quelques années. Un jour, alors que mon fils faisait de l’écriture, le titre Polisse, avec la faute d’orthographe et l’écriture d’un enfant, est d’un coup devenu évident pour le sujet du film »[6]
De l’erreur à l’évidence, de la transgression à la tendance, il n’y a qu’un pas. Un pas que les médias, et tous ceux qui se disent artistes, n’hésitent plus à franchir. Et que le titre du film ait été traduit en anglais par « Poliss », qui n’a aucun sens, ne semble émouvoir personne, alors qu’on utilise le même mot dans les deux langues pour dire « police » !
Voilà comment le « mal-écrire » permet de se démarquer. Voilà comment le « mal-écrire » fait vendre. Je suis pour l’originalité, pour la créativité, pour la libre-expression mais contre le nivellement par le bas, surtout quand il s’agit du langage.
Certes, la graphie permet souvent de « saisir » l’intention qui se cache derrière la faute, en la rattachant à un contexte. C’est le cas pour Omar m’a tuer et ses dérivés, lorsqu’ils reprennent la couleur rouge sang et l’écriture tremblante de la victime. Idem pour Polisse avec son tracé cursif, inégal et dépourvu de majuscule.
Mais ces efforts de cohérence sont insuffisants et l’incompréhension est toujours de mise. En témoignent les commentaires d’un article de la dépêche.fr du 1e septembre 2011[7] à propos de la sortie de l’ouvrage Sarko m’a tuer : plus de la moitié des internautes réagissent à la faute dans le titre, et non au sujet du livre ! À quand l’astérisque à côté des mots fautifs renvoyant à l’orthographe correcte ?
Retrouvez cet article sur Le Plus / Nouvel Obs.
[1] Roschdy Zem, réalisateur du film
[2] D’Alexandre des Isnards et Thomas Zuber,
[3] De Gérard Davet et Fabrice Lhomme
[4] Interview sur Commeaucinema.com
[5] De Jean Pialat, avec Gérard Depardieu et Sophie Marceau (1985)
[6] Le quotidien des policiers de la BPM (Brigade de Protection des Mineurs)
[7] « Sarko m’a tuer » : les pressions et la peur des témoins