« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » disait Boileau. Pourtant lundi dernier à Oyonnax, François Hollande a eu bien du mal à prononcer son discours.

Était-ce l’émotion liée à la célébration ? Le fait d’avoir été hué et sifflé dès son arrivée ? La crainte de confondre une nouvelle fois les deux guerres mondiales ? Avait-il simplement la tête ailleurs ? Nul ne le sait.

Mots mangés, écorchés, inventés, sur à peine 20 minutes de discours, la langue présidentielle a fourché une bonne douzaine de fois. Une chose est sûre, ce n’est pas sa verve qui fera remonter François Hollande dans les sondages. Jugez plutôt :

Oyonnax se prononce [Oyonna] et Bourg-en-Bresse [Bourk-en-Bresse]. Pour le reste, l’usage du dictionnaire est recommandé.

La critique est aisée, mais l’art de bien parler est difficile, en tout cas pour le commun des mortels. Issue de la Grèce antique, la rhétorique ne se réduit pas à de belles envolées lyriques, elle doit servir à convaincre et à persuader l’auditeur. Pour les Français, le président de la République est naturellement un orateur hors pair. Héritage monarchique oblige, sa parole est quasi-divine, et ne tolère donc aucune imperfection… ou presque.

Si François Hollande ne brille pas par son éloquence, nos anciens présidents sont-ils exempts de toute critique ? Qu’avons-nous retenu de leurs prestations orales ?

De Gaulle et Mitterrand, des discours scandés 

Pour galvaniser les foules, le général de Gaulle avait un secret : marteler chaque propos. Ce rythme lent et ce ton insistant donnaient à ces discours leur solennité et leur gravité.

Naturellement, celui qui incarna « la voix de la France » fut un peu perturbé par l’arrivée de la télévision, qu’il bouda d’abord pendant le premier tour de la campagne présidentielle de 1965, avant de se prêter au jeu. Or, transposé au petit écran, ce parler « héroïque » paraît vite exagéré, en tout cas à travers nos yeux !

Cette élocution hachée, c’est sans doute la seule chose que François Mitterrand a partagée avec le général de Gaulle. Rien d’étonnant à cela, les deux hommes ont été formés à l’art oratoire tel qu’il se pratiquait sous la IIIe puis la IVe République, c’est-à-dire devant un public et non des téléspectateurs. Ce parler « scandé » allait plutôt pas mal avec son allure de sphinx, à la fois fier et froid.

 La patate chaude de VGE

Il a bien essayé de faire « popu », VGE, en jouant de l’accordéon et en s’invitant à dîner chez vos voisins, mais dès qu’il s’exprimait, il était trahi par son style ampoulé façon « patate chaude dans la bouche ».

 Son chaleureux « au revoir » qui ponctuait ses vœux télévisés est passé à la postérité, notamment grâce aux « Enfants de la télé ». Jack Lang est le digne héritier de ce parler tuberculeux.

Les liaisons facultatives de Chirac

 « Je suis[e] indigné », « C’est[e] inacceptable » Jacques Chirac est connu pour avoir usé (et parfois abusé) des liaisons dites facultatives, c’est-à-dire appartenant au langage soutenu.

 Mieux, il avait l’habitude de distinguer la liaison du mot suivant, comme s’il s’agissait d’une syllabe à part entière ! Aujourd’hui, certaines mauvaises langues disent qu’il aurait dû s’en tenir aux liaisons… extra-conjugales.

 Les syncopes de Sarkozy

Rassurez-vous, Nicolas Sarkozy était moins sujet à la perte de connaissance qu’à la perte de syllabes ! Président pressé, il avait l’habitude de supprimer des lettres à l’intérieur d’un mot. La phrase « M’sieur Pujadas, j’vais vous dire une chose : oui ch’uis candidat à l’élection présidentielle » rassemble les syncopes les plus célèbres du prédécesseur de François Hollande.

Pour certains, ce « parler peuple » était le fruit d’une stratégie. Pourtant, Nicolas Sarkozy s’exprimait déjà ainsi lors de son premier passage télévisé. Il avait alors 20 ans.

Si le style oratoire des présidents de la République –  trop désuet, trop ampoulé ou au contraire trop simple – a fait l’objet de nombreuses moqueries et parodies, il reste une marque de fabrique, de reconnaissance et d’attachement durable à la personne du chef de l’État.

Reste à savoir, sur ce point aussi, ce que François Hollande laissera à la postérité…