Telle est la question. À l’école, mes professeurs m’assuraient que oui, pour me dissuader de l’employer (je crois bien que ma mère aussi s’en était mêlée). Souvenez-vous, quand vous récitiez vos conjugaisons, il était emmerdant, ce « on » : « il, elle, on… chante ». Comme moi, vous preniez peut-être un malin plaisir à le passer à la trappe, sans que personne ne s’en offusque particulièrement. Mais qui est-ce « on » ? Un mal-aimé victime de sa réputation ou un empêcheur de tourner en rond ? Omniprésent, il s’invite sans carton dans nos lectures et nos conversations… Enquête sur le plus rebelle des pronoms personnels.
De l’homme à personne
Avant de devenir un pronom personnel dit « indéfini », « on » a été un nom commun. Et pas n’importe lequel : « on » (qui s’est d’abord orthographié om, puis hom) est issu du nominatif latin homo. À l’origine, il signifiait donc l’homme en général. Mais à force de désigner un individu aussi indéterminé, il a fini par se transformer en pronom indéfini. Quant à l’accusatif hominem, il a donné le nom commun « homme » que nous utilisons aujourd’hui. Cette racine commune existe dans d’autres langues, comme l’allemand où man (on) s’est détaché de mann (homme).
Cette précision étymologique permet à « on » de redorer quelque peu son blason…
On ou l’on ?
Cette épineuse question mérite d’être tirée au clair une bonne fois pour toutes ! Comme les autres noms, « on » a d’abord été précédé de l’article défini : le hom, puis l’on en ancien français. Quand « on » s’est mué en pronom, l’article « l’ » est devenu facultatif. Il n’est plus qu’une consonne dite « euphonique », permettant d’éviter des sonorités peu agréables à l’oreille, à savoir :
– le hiatus (suite de deux voyelles), c’est-à-dire après et, ou, où, qui, quoi, si. « J’aime les pays où l’on a besoin d’ombre ». (Stendhal).
– le son [con], après « que » et ses composés lorsque, puisque, quoique. « Il y a certaines choses que l’on cache pour les montrer. » (Montaigne). L’article est plus fréquent encore si le mot qui suit commence lui-même par le son [con] : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement… » (Boileau).
À l’inverse, on n’emploiera pas « l’ » quand « on » est suivi d’un mot commençant par « l ». « Si on lit ce billet jusqu’au bout… » (et non « si l’on lit »). Ici le hiatus est préférable à l’allitération (répétition d’une même consonne).
Accorder on ?
Ce qui est très perturbant, chez ce « on », c’est qu’il correspond à la troisième personne du singulier, alors que, la plupart du temps, il désigne un collectif.
Étymologiquement, nous l’avons vu, « on » est masculin. Il est donc suivi d’un participe passé masculin singulier. Ainsi, le talk-show de Laurent Ruquier, diffusé tous les samedis soir sur France 2 s’écrit « On n’est pas couché ».
Pourtant, depuis le XVIIe siècle, l’attribut peut s’accorder en genre et en nombre avec la ou les personne(s) que « on » représente. Si des petites filles se réjouissent d’être ensemble, elles pourront s’exclamer « on est contentes! », qui semble tout de même plus approprié que « on est content ! ». Cela dit, si l’une et l’autre de ces formes vous gênent, rien ne vous empêche de remplacer « on » par nous, ou de conserver les deux, pour plus d’emphase. Par exemple, un des livres de l’économiste Jacques Généreux, préfacé par Jean-Luc Mélenchon, s’intitule « Nous, on peut ! » (sans blague).
On veux-tu, on voilà !
Si « on » désigne le plus souvent un ensemble de personnes non identifiées, il peut également s’utiliser comme figure de style dans le discours direct, régulant la distance entre le locuteur et autrui. Tantôt intimidant « Alors, on fait moins le malin ? », tantôt infantilisant « On va faire un gros dodo ! », et même fraternisant « On est, on est, on est les champions ! », « on » sait jouer avec nos émotions.
Employé dans des expressions toutes faites, « on » est au sommet de l’abstraction et permet toutes les interprétations. Il est possible de craindre le « qu’en-dira-t-on » ou les « on dit », comme de s’en moquer !
En un mot, « on », c’est la liberté ! La liberté d’être personne et tout le monde à la fois, de se ressembler pour mieux se rassembler. Ce n’est pas un hasard s’il est la star de nombreuses chansons populaires auxquelles plusieurs générations s’identifient : On ira tous au paradis, On dirait le sud, On va s’aimer, On se retrouvera, On s’attache, Alors on danse…
Mais pour ceux que cette liberté d’accord ou de sens effraie, « on » sera toujours un con, le trublion de nos conjugaisons. C’est bien normal, me direz-vous, « on » ne peut pas plaire à tout le monde…
Très bien, votre article ! Et bien documenté.
A moins que vous ne le refusiez, je vais prochainement le mentionner par lien sur mon blog, dans la catégorie A voir & lire ailleurs.
Ai fait un renvoi à votre article dans mon blog.
Vous souhaite un 2012 plein de rencontres captivantes. Sur Terre et sur Web.
Mes professeurs (ma maîtresse de CE2 notamment, m’expliquait, elle que » ‘on’ est un âne » parce qu’effectivement comme l’indique la première partie de votre article, ‘on’ ne devait être employé uniquement pour indiqué que nous parlions d’une population indéfinie.
« J’aime les pays où l’on a besoin d’ombre. » (je sais, c’est votre exemple :o) )
De ce fait, pour votre exemple des filles contentes, nous ne sommes plus dans ce contexte. Les personnes concernées sont là, bien définies. Le nous devrait être employé.
C’est en partant de ce fait que je me suis interrogé sur la place des mots en France.
Ce on mis pour nous (on est contentes avec un pluriel à contente alors que on est singulier, ce qui pose d’ailleurs question ), ne serait-il pas qu’une dérive du langage ? je comprends l’idée de la figure de style, mais cette figure c’est largement démocratisé et aujourd’hui dans les conversations de tous les jours, le nous apparaît plus… engagé (et plus clivant : « eux ou nous ») . Du coup, c’est le on, plus politiquement correct qui est employé, le nous devenant l’exception.
Au vu de ces aspects, je me pose la question. Quels sont les règles qui sont apprises aujourd’hui à l’école puisque dans notre société, on n’a plus l’air d’être un âne ?
Qu’est-ce qui est considéré aujourd’hui comme une faute et qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Dans ces moments ou on s’interroge sur la place des mots dans notre société (discours des politiques, courriels envoyés pendant le travail etc.) il serait bon de savoir où l’on va.
Depuis le home je lis du Heidegger en suçant une Suze.