« Votre ordinateur va redémarrer dans 30 secondes ! » Et pourquoi pas « s’autodétruira » pendant qu’on y est ? Vous le connaissez bien, ce petit message qui apparaît en bas à droite de votre écran, pile-poil au moment où vous écrivez le mail qui va décider de votre vie pour les dix prochaines années.
Ce ton péremptoire a le chic pour m’oppresser et à chaque fois le même vent de panique s’empare de moi. J’aimerais simplement qu’on (d’ailleurs qui ?) me pose poliment la question. Heureusement il nous est permis de repousser l’échéance, à quelques heures près, jusqu’à 15 jours. Pour me venger, je choisis toujours la peine maximum. C’est idiot bien sûr, car ces manœuvres sont nécessaires au bien-être de nos ordinateurs (et indirectement au nôtre) mais quelle impression désagréable de se voir ainsi forcer la main !
Impression qui invite à une réflexion plus large (et plus sérieuse) sur les mots de l’informatique et du web.
Qu’il s’agisse du hard ou du software, nous utilisons, sans nous en rendre compte, des mots dont le champ lexical évoque une certaine violence. Le disque est dur, on tape sur un clavier, on écrase un dossier, on exécute une tâche, on éjecte un disque, on rogne[1] une image, on coupe ou on supprime un fichier… Et il se peut que vous ayez été victime d’un bombardement Google en accédant à une page sans rapport avec votre requête sur le moteur de recherche. Ah ! J’oubliais de vous parler des pirates du web qui pillent vos mots de passe et font commerce de vos données personnelles.
Mais pourquoi tant de haine ?
D’autres termes sont « simplement » inquiétants mais leur accumulation finit par créer un environnement anxiogène. Virus, alertes, menaces, et j’en passe !On m’a dernièrement proposé (pardon, imposé) de résoudre des problèmes d’ordinateurs. Des problèmes, voyez-vous, j’avais tenté d’en résoudre toute la journée. J’ai donc lâchement cliqué sur la petite croix. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Quant aux remèdes, parmi lesquels l’installation d’un pare-feu, ils ne sont guère plus rassurants ! Que dire de ces fenêtres intempestives qui nous envahissent ? Enfin, si par malheur vous éteignez mal votre ordinateur, on vous proposera, cette fois-ci, de le démarrer en mode sans échec, histoire de bien vous culpabiliser !
Autre champ lexical, celui de l’enfermement : verrouiller une session, faire une capture d’écran, bloquer l’accès, sans parler de cette métaphore de l’araignée tissant sa toile (web en anglais) autour de nous. Comme si nous n’étions pas assez conscients de notre dépendance, et que la machine n’avait de cesse de nous le rappeler. Mais pas de panique, il y a la touche echap !
Enfin, sans être chargés négativement, certains mots paraissent exagérés, démesurés par rapport à leur usage « réel ». C’est ainsi que l’on fusionne deux dossiers, qu’on importe ou qu’on exporte des données… termes qu’on a plus l’habitude d’entendre à l’échelle macroéconomique, au sujet d’entreprises multinationales. Pour ma part, il ne m’est jamais arrivé de dire à un ami que j’allais lui exporter une carte postale, même d’un pays lointain!
Comme si les « inventeurs » du numérique n’avaient pas jugé utile de créer de nouveaux mots, propres à l’environnement virtuel, comme nous le faisons désormais[2]. Non seulement ils ont recyclé des termes usuels comme souris, bureau, parcourir, enregistrer, copier/coller, ouvrir/fermer la fenêtre, vider la corbeille, mais ils ont utilisé un langage particulièrement offensif. Deux raisons au moins justifient ce parti-pris. D’abord, le fait que, pendant sa phase de développement, l’outil ait été pensé à des fins militaires ne me semble pas anodin. Ensuite, les mots que nous utilisons aujourd’hui ne sont que la traduction littérale de mots anglais, ce qui limite les subtilités de langage. Ce qui est certain, c’est que le fait d’évoluer dans un monde abstrait, non palpable, nécessite de nommer les choses et les actions avec des mots forts et imagés. En pleine boulimie technologique, notre cerveau a plus que jamais besoin de « matérialiser l’immatériel », quitte à donner dans l’excès.
Mais toute règle a ses exceptions, et il serait bien injuste et incomplet de ne pas citer ici quelques termes qui nous permettent, le temps d’un clic, de renouer avec l’harmonie. C’est le cas des expressions ayant trait à l’enfantement, la carte mère, la mise à jour, le câble d’alimentation, autant d’éléments permettant à votre ordinateur de vivre ! J’ajouterais que l’une des touches du clavier que nous utilisons le plus s’appelle entrée et qu’elle nous permet, par exemple, d’accéder à des pages d’accueil… Et pour supporter l’enfermement que j’évoquais plus haut, il nous est permis de surfer, de naviguer ou encore d’explorer Internet. Attention cependant, un cookie n’est pas un gentil petit biscuit sec aux pépites de chocolat mais une suite d’informations envoyée par un serveur HTTP à un client HTTP, enfin bref, une nourriture beaucoup moins digeste !
En résumé, cette analyse, qui mériterait d’être approfondie, montre que nous avons toujours besoin d’injecter de « l’humain » dans notre rapport aux machines. Ce n’est pas un hasard si nous parlons spontanément à notre ordinateur (et c’est rarement tendre) ou à notre voiture (laquelle, plus chanceuse, se retrouve parfois affublée d’un petit nom). Quoi de plus normal ? Si le perfectionnement de nos outils de communication a nécessité de développer notre technicité, il n’a pas (encore) génétiquement modifié notre système de transmission cérébrale permettant, entre autres, l’apprentissage et la pratique du langage.
Qu’on se le dise : les Digital natives sont des Homo sapiens comme les autres !
[1] Outre le rapprochement paronymique avec « grogne », rogner signifie, dans le langage populaire, « être de mauvaise humeur ».
[2] Quelques exemples de mots créés spécialement pour qualifier les usages du web social : Folksonomy, Blogosphere, Blog, Netiquette, Blook, Webinar, Vlog, Social Networking,Wiki.