Dimanche 6 mai 2012. Un peu après 20h. Sur le plateau de TF1, Rachida Dati transmet un « salut républicain » au candidat victorieux François Hollande. Quelques instants plus tard, à Tulle, le même François Hollande adresse également « un salut républicain à Nicolas Sarkozy qui a dirigé la France pendant 5 ans et qui mérite à ce titre tout [notre] respect ».
Pourquoi ces deux personnalités politiques ne se contentent-elles pas de saluer tout court leur adversaire ? Pourquoi se sentent-elles obligées de qualifier leur geste de « républicain » ?
Ici, l’adjectif ne désigne pas ce qui est relatif ou favorable à la République, comme dans « régime républicain » ou « esprit républicain ». Il ne s’agit pas non plus d’une référence au « salut républicain » pratiqué dans les années trente, bras plié et poing levé, par opposition au salut fasciste. Il sert uniquement à insister sur la magnanimité de celui qui salue l’ennemi. Au fond, on pourrait aussi bien parler d’un salut fair-play. Car rendre hommage à celui qu’on a combattu, sans plus de précision, pourrait apparaître comme l’aveu d’une faiblesse. Heureusement que le ridicule ne tue pas.
Républicain est donc galvaudé, mais ça, ce n’est pas nouveau. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit de faire le « test de négation ». Une méthode imparable pour mettre à jour les discours creux et les lieux communs dont raffolent les politiques (on dit aussi « langue de coton »). La question à se poser est la suivante : pourrait-on dire le contraire ? Si la réponse est non, c’est la langue de coton. Si la réponse est oui, alors le discours se veut constructif. Rachida Dati et François Hollande pourraient-ils adresser un « salut non-républicain » ? Non, bien sûr : ça n’a pas davantage de sens à la forme négative qu’à la forme affirmative !
Pourtant, en France, le mot républicain est surtout utilisé en opposition à ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire l’extrême-droite. Souvenons-nous : Jacques Chirac en 2002 refusa le duel télévisé de l’entre-deux-tours – pourtant coutume républicaine ! – en raison des valeurs non-républicaines de Jean-Marie Le Pen, « l’intolérance et la haine » (sic). Sauf que pour certains, cette décision (de ne pas débattre avec l’autre candidat finaliste) était non-démocratique. Vous suivez ?
Il aurait donc été plus logique que Rachida Dati et François Hollande adressent, par exemple, un « salut républicain » à Marine Le Pen pour bien marquer leur différence. À cela près que, pour les « Républicains », Marine Le Pen n’est pas une candidate que l’on salue… tout court.
Cela n’a pas empêché la candidate frontiste, en amont de la campagne, de féliciter François Bayrou pour son « comportement républicain ». Pour rappel, celui-ci avait déclaré le 14 février 2012 au micro de RTL que « l’absence de Marine Le Pen à la présidentielle, en cas d’insuffisance de parrainages, serait un trouble ». Mais une candidate non-républicaine a-t-elle le droit de qualifier quoi que ce soit de républicain ?
Cette sophistication du langage politique semble ne choquer personne, mieux, elle fascine, à l’image de ces formules ambigües qui ont alimenté le « mythe » du général de Gaulle (« Je vous ai compris ! », « Vive le Québec libre ! ») alors qu’elles étaient surtout vectrices de désillusions. À l’inverse, le franc-parler de Nicolas Sarkozy a dérouté les Français. Le président Normal fera-t-il mieux ? Il a déjà remplacé « mes chers compatriotes » par « mes chers concitoyens » dans son allocution du 6 mai. Quelle différence entre les deux termes ? Absolument aucune : dans ce contexte ils désignent l’un et l’autre les habitants d’un même État… Ça vous étonne?