Telle est la question. A l’école, un de mes professeurs m’avait assuré que oui, pour me dissuader de l’employer (je crois bien que ma mère aussi s’en était mêlée). Souvenez-vous, quand vous récitiez vos conjugaisons, il était emmerdant, ce “on” : “il, elle, on… chante”. Comme moi, vous preniez peut-être un malin plaisir à le passer à la trappe, sans que personne ne s’en offusque particulièrement. Mais qui est-ce “on” ? Un mal aimé victime de sa réputation ou un empêcheur de tourner en rond ? Omniprésent, il s’invite sans carton dans nos lectures et nos conversations… Enquête sur le plus rebelle des pronoms personnels.
De l’homme à personne
Avant de devenir un pronom personnel dit “indéfini”, “on” a été un nom commun. Et pas n’importe lequel !“On” (qui s’est d’abord orthographié om, puis hom) est issu du nominatif latin homo. A l’origine, il signifiait donc l’homme en général. Mais à force de désigner un individu aussi indéterminé, il a fini par se transformer en pronom indéfini. Quant à l’accusatif hominem, il a donné le nom commun “homme” que nous utilisons aujourd’hui. Cette racine commune existe dans d’autres langues, comme l’allemand : man (on) s’est détaché de mann (homme).
Cette précision étymologique permet à “on” de redorer quelque peu son blason…
Cela me fait penser à une anecdote de mon enfance. J’étais restée interrogative devant cette couverture de Télé-Loisirs qui titrait sur l’Olympique de Marseille. Je me souviens être allée trouver ma mère pour lui signaler la faute avec beaucoup d’aplomb : le mot “homme” ne s’écrivait pas “om”! Elle avait ri, bien sûr. Je sais désormais que du point de vue étymologique (et en lisant “om” comme un acronyme, c’est-à-dire un mot normal, et non comme un sigle en détachant chaque lettre), ma naïve remarque n’était pas dépourvue de bon sens!
“On” est donc à rapprocher de ces mots dont le sens a évolué du concret à l’abstrait, tout comme “rien” qui vient de rem, accusatif de res (la chose) et qui désignait à l’origine le bien, la possession, la propriété.
Que de chemin parcouru pour de si petits mots !
On ou l’on ?
Cette épineuse question mérite d’être tirée au clair une bonne fois pour toutes ! Comme les autres noms, “on” a d’abord été précédé de l’article défini : le hom, puis l’on en ancien français. En passant de nom à pronom, l’article l’ est devenu facultatif. Il n’est plus qu’une consonne dite “euphonique”, permettant d’éviter des sonorités peu agréables à l’oreille, à savoir :
– le hiatus (suite de deux voyelles), c’est-à-dire après
et, ou, où, qui, quoi, si. “J’aime les pays où l’on a besoin d’ombre.” (Stendhal).
– le son [con], après que et ses composés lorsque, puisque, quoique. “Il y a certaines choses que l’on cache pour les montrer.” (Montaigne). L’article est plus fréquent encore si le mot qui suit commence lui-même par le son [con] : “Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement…” (Boileau).
A l’inverse, on n’emploiera pas l’ quand “on” est suivi d’un mot commençant par l. “Si on lit ce billet jusqu’au bout (et non si l’on lit)…” Ici le hiatus est préférable à l’allitération (répétition d’une même consonne).
En dehors de ces raisons euphoniques, l’on est utilisé dans le langage littéraire et soutenu. C’est ainsi que certains auteurs l’emploient en début de phrase.
Accorder “on” ?
Ce qui est très perturbant, chez ce “on”, c’est qu’il correspond à la troisième personne du singulier, alors que, la plupart du temps, il désigne un collectif.
Etymologiquement, nous l’avons vu, “on” est masculin. Il est donc suivi d’un participe passé masculin singulier. Ainsi, le talk-show de Laurent Ruquier, diffusé tous les samedis soir sur France 2 s’écrit “On n’est pas couché”.
Pourtant, depuis le XVIIe s., l’attribut peut exceptionnellement s’accorder en genre et en nombre avec la ou les personne(s) que “on” représente. Si des petites filles se réjouissent d’être ensemble, elles pourront s’exclamer “on est contentes!”, qui semble tout de même plus approprié que “on est content!”. Ceci dit, si l’une et l’autre de ces formes vous gênent, rien ne vous empêche de remplacer “on” par nous, ou de conserver les deux, pour plus d’emphase. Par exemple, le dernier ouvrage de l’économiste Jacques Généreux, préfacé par J-L Mélenchon, s’intitule “Nous, on peut le faire”. (Sans blague!)
Notez que la possibilité d’accord du verbe au pluriel avec “on” sujet (ex: on chantent), ne s’est pas maintenue.
On veux-tu, on voilà !
Si “on” désigne le plus souvent un ensemble de personnes non identifiées, il peut également s’utiliser comme figure de style dans le discours direct, régulant la distance entre le locuteur et autrui. Tantôt intimidant “Alors, on fait moins le malin?”, tantôt infantilisant “On va faire un gros dodo!”, et même fraternisant “On est, on est, on est les champions!”, “on” sait jouer sur nos émotions.
Employé dans des expressions toutes faites, “on” est au sommet de l’abstraction et permet toutes les interprétations. Il est possible de craindre le “qu’en-dira-t-on” ou les “on dit”, comme de s’en moquer !
En un mot, “on”, c’est la liberté. La liberté d’être personne et tout le monde à la fois, de se ressembler pour mieux se rassembler. Ce n’est pas un hasard s’il est la star de nombreuses chansons populaires auxquelles plusieurs générations s’identifient : “On ira tous au paradis”, “On dirait le sud”, “On va s’aimer”, “On se retrouvera”, “On s’attache”, “Alors on danse”…
Mais pour ceux que cette liberté d’accord ou de sens effraie, “on” sera toujours un con, le trublion de nos conjugaisons. Que voulez-vous, “on” ne peut pas plaire à tout le monde…